Le pauvre Bram a mal commencé sa vie, car il passa une grande partie de son enfance dans son lit. Enfin, mal commencé, ça dépend pour qui. _ Personnellement ça ne m’aurait pas dérangé. J’aime bien traîner au lit, de préférence pas seul et avec un bon film de vampire à la télé. Même si ce genre de films est une denrée de plus en plus rare à trouver (il n’y en a plus que sur Arte ou sur le câble, les autres chaînes étant vendues aux bouses hollywoodiennes).
Mais revenons à nos moutons (irlandais).
Bram, (appelons le Bram, même si il n’a aucun rapport avec les cervidés qui hantent nos fôrets), Bram disais-je avant d’être interrompu par moi même dans une parodie malhabile d’hommage à de vieux textes Desprogiens, Bram donc décida de prendre sa revanche sur la vie qui l’avait créée maigrelet et roux.
Il fit donc de la musculation, prit des cours de guitare au Trinity College de Dublin, et commença à draguer les théâtres. Diplômé en sciences (de quoi, on ne sait pas, mais ça fait toujours bien sur un cv) il entre dans l’administration pour faire plaisir à son papa et écrit parallèlement des chroniques théâtrales pour des journaux irlandais pour se faire plaisir à lui (c’est un passionné des écrits de Walt Whitman – voir plus bas).
Et puis un jour il tombe amoureux à la fois d’Henry Irving et de la très jolie fille de ses voisins, Florence (courtisée aussi par mon ami Oscar Wilde).
Finalement, Florence épouse le grand roux à la position sociale élevée (et pas le délicieux Oscar trop fantasque pour elle) et le jeune couple part pour Londres, main dans la main et zizounette dans le pilou-pilou, où Bram doit diriger un théâtre appartenant à Henry Irving.
Là, le courage et la pugnacité de Bram permet au théâtre de réaliser pas mal de succès. Les Stoker tiennent salon et l’on retrouve des tas de célébrités de l’époque (en plus d’Oscar Wilde) chez eux.
S’installe aussi une sorte de couple à 4 : d’un côté Irving et Stoker (quasi mesmérisé par le premier) et de l’autre côté Florence Stoker et une superbe actrice Ellen Terry.
Attention, hein, bande de petits vicieux, n’allez pas croire des choses. Il n’est pas prouvé qu’il y ai eu fautes. Mais quand on relit Dracula sur la base des tensions inexprimées de l’époque on obtient (avec un peu de psy à 2 balles) :
- Henry Irving –> Dracula
- Bram Stoker –> Jonathan Harker (à noter que Harker est le nom du décorateur du théâtre qui est parti avec toute la troupe en voyage en Allemagne)
- Florence Stoker –> Mina Harker
- Ellen Terry –> Lucy (le personnage le plus érogène du roman)
Car les Stoker ont un problème de sexe. Ils s’aiment d’un bel amour bien comme il faut, mais au niveau zigzig, nada. Florence est la caricature de la femme modèle : très belle, bonne mère, bonne épouse, mais froide. Un peu comme Mina Harker. Belle, naïve et trop propre et qui pourtant goûtera avidement le sang de Dracula.
Entre Henry Irving au magnétisme irrésistible et Ellen Kerry, flamboyante actrice et sa femme qui ne lui accorde rien, Bram lui, bouillonne intérieurement. Et ce bouillonnement il va le transformer en un chef d’œuvre, Dracula.
Et effectivement après la lecture de sa biographie, on ne peut que faire le rapprochement entre l’homosexualité latente du jeune Jonathan et sa fascination envers Dracula, et celle de Bram Stoker pour Irving. On fait aussi le rapprochement entre la mauvaise vie de Lucy (mais tellement scrutée et enviée) et l’exubérance d’Ellen Kerry.
Dracula sort en 1897. Et les critiques y voient une œuvre majeure. Par contre Irving lui interdit d’ailleurs de rejouer la pièce tirée de Dracula que Bram a écrit. Le comte devait être trop ressemblante à son goût et Dracula n’était pas encore une star.
Hélas, les vieux restes de la société victorienne vont l’emporter.
Stoker continue à écrire, mais pas forcément pour le meilleur. Lui même commence à tomber dans un puritanisme de mauvais alois et ses ouvrages s’en ressentent (mariages arrangés, sublimation des classes sociales, haine (peur) des noirs, diminution sociale des femmes).
On est loin des dualités complexes des personnages de Dracula. Dans “le Repaire du ver blanc” notamment, le manichéisme des protagonistes est navrant. Et pourtant, il continuera à avoir du succès et à écrire jusqu’à sa mort en 1912.
Même si il a fini en graine de conformiste dans ses romans, Bram Stoker a tout de même vécu une époque et une existence formidable. Il est toujours resté fidèle à son amitié avec Henri Irving, même quand celui-ci commença à péter les plombs. Il est aussi toujours resté attaché à Whitman, ce qui est assez étrange connaissant l’âme de babacool de ce cher Walt. On imagine alors un Bram Stoker torturé entre ses désirs d’évasion (sexuels) et ses obligations sociales. C’est cette ambivalence qui a créée Dracula, alors on va pas s’en plaindre.
Post Scriptum :
Henry Irving naquit en Angleterre en 1838.
En 1856, il fit sa première apparition sur la scene au Sunderland Theatre. Il joua à Edinburgh, Manchester et Liverpool avant de faire ses débuts à Londres en 1866. Ses performances d’Hamlet (1874), Macbeth (1875) et Othello (1876) lui firent gagner sa réputation de meilleur acteur anglais de son temps.
En 1878 il forma un duo avec Ellen Terry au théatre Lyceum, où il devint acteur-directeur (et Bram Stoker régisseur). En 1895 Irving devint le premier acteur dans l’histoire anglaise à être fait chevalier. Sir Henry Irving mourut en 1905.
Walt Whitman
Ecrivain et poète américain, né à Long Island le 31 mai 1819 WAlt WhitmanDécédé à Camden, New Jersey le 26 mars 1892
En 1955 Walt Whitman publie la première version de ’Leaves of Grass’, recueil de poésie à la versification inédite où il clame dans les termes les plus directs de la langue populaire, la sensualité et la liberté. Son lyrisme est représentatif de la sensibilité américaine. Il remaniera toute sa vie ce recueil de poèmes avant de mourir en 1892.
“Nothing can happen more beautiful than death.“