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Vampires, dir. Estelle Valls de Gomis

vampires-estelle-val-gomisLes éditions Glyphe, récemment enrichies d’une collection fantastique, nous offrent une anthologie aux dents longues. Les textes, pour partie l’œuvre de jeunes auteurs contemporains francophones, sont réunis pas les soins de la thésarde es vampires Estelle Valls de Gomis, qui insère également ici sa traduction du premier chapitre de Varney ou le festin de sang, penny dreadful horrifique et gothique, encore jamais publié dans son intégralité dans une version en langue française.

Ce recueil, sobrement intitulé Vampires et illustré en couverture par Sébastien Bermès, donne à lire plusieurs facettes de l’exercice de la nouvelle à crocs, variablement éloignées des codes habituels. On est dans une fiction vampirique assez classique chez Léonor Lara par exemple et on voit remonter des thématiques vampirales moins fréquentes (mais très fantastiques), impliquant des objets maléfiques : pierre précieuse, collier… le panel de thèmes utilisés en relation avec le vampire est en fait assez large :

Marigny et Ferric, dans une fiction remarquablement bien écrite pour le second, choisissent le contexte de la guerre et la peur de l’inhumation liée à la mise en terre de nombreux corps ou du sien.

A propos de terre, il y a l’original « Conscience minérale », où le narrateur est une gemme aspirant au retour à la roche-mère. L’auteur insinuerait-il que le monde, dans un désir généralisé de complétude, s’absorbe lui-même indéfiniment, tel l’orobouros ? Parlant de symbole alchimique, c’est cette science que rencontrera la vampire avec Denis Labbé, dans un texte mettant en scène le peintre flamant Bruegel.

Quant à Lucie Chenu, lui est advenue elle aussi l’idée drôlatique d’introduire des personnages connus, faisant de Sissi l’impératrice un vampire !

Je n’ai pas évoqué ici le dixième de ce que contient ce recueil, rassurant sur la capacité infinie du mythe à se réécrire… voici un livre qui enrichira votre bibliothèque thématique sans redondance.

Vampires, anthologie dirigée par Estelle Valls de Gomis couverture de Sébastien Bermès Editions Glyphe, collection « Imaginaires »

L’Historienne et Drakula (2), Elizabeth Kostova

Historienne et drakula 2“Dans leur jeunesse, mes parents ont traqué ensemble le funeste Drakula. Ma mère pourrait être encore en vie, mais une vie en suspens…”

Or, comme vous aviez constaté que deux volumes de L’Historienne trônaient l’un à côté de l’autre sur une des tables des meilleures ventes de la Fnuck, vous aviez acquis l’assortiment complet. Et il le fallait bien, puisque l’intrigue, bien que pauvre, investit les deux volumes. Un et un font 15 euros voire plus : je vous conseille d’attendre la sortie cinéma ; vous perdrez moins de temps et moins d’argent.

Les deux livres ont sans doute été écrits dans la vision d’un seul, ils s’enchaînent sans transition d’aucune sorte. Mais l’intrigue avance, chers livropathes, c’est le volume des scènes d’amour autorisées aux moins de 8 ans, des retrouvailles, des morts méritants.

Il est difficile de former des propos intéressants concernant un livre qui nous a passé par-dessus la tête. De quoi aimeriez-vous que je vous parle ? De sexe ?

N’a pas. D’action ? N’a pas (non non, même pas pour la scène finale). Du style ? Y’a pas. De l’intrigue ? Y’a presque pas. Ah oui, dites-moi, au fait, à quoi sert cet arc de l’intrigue dédié aux descendants des fidèles super secrets du Sultan, mmmh ?

Bon allez, je vais laver la salade verte pour ce soir.

L’Historienne et Drakula (1), Elizabeth Kostova

Historienne drakulaLa branche des passionnés connaît un sous-ordre peu enviable, celui des collectionneurs obsessionnels, qui représente une part non négligeable des vampirophiles. L’obsessif vampiral est compulsif dans ses achats : il pourrait bien acquérir un Harlequin, pour autant que les canines, sur la première de couverture, soient un peu proéminentes. Il pourrait même acquérir L’Historienne et Dracula, un jour qu’il flânerait à la Fnuck, admirable enseigne ayant saisi l’intérêt du philanthrope concept de grande surface culturelle.

Ah ah ah.

Bon. Non. Ce n’est pas si mauvais. Et puis les vampires n’avaient pas encore leur Da Vinci Code, livre écrit avec un générateur automatique de synopsis me semble-t-il, dont le langage est immédiatement convertible au format scénaristique à l’usage des films pour grands complexes cinématographiques, glorieux objets architecturaux de l’ère de la Sainte Consommation qui jadis nous sauvèrent, mes enfants, de petites salles miteuses dans lesquelles on entrait pour 20 ou 30 francs.

Elizabeth Kostova a peut-être téléchargé illégalement le logiciel qui a produit à peu près aléatoirement le Da Vinci Code, ou peut-être a-t-elle payé la licence : les universitaires sont vraiment bien payés, c’est connu (surtout les historiens) (quoique je n’ai pas bien compris quels diplômes elle possède), mais je n’avance rien.

Parlons donc un peu de l’intrigue de ce premier volume. Une lycéenne raconte (ce qui explique peut-être la pauvreté du style), entre des retranscriptions de lettres (Stoker‘s style like, yeah) de son père et d’autres protagonistes, une histoire impliquant des universitaires jouant les Indiana Jones et un Dracula surnaturel et historique, que nous ne voyons pas apparaître directement dans cette partie. Kostova a choisi d’évoquer un Dracula historique en effet, mais semblant posséder de réels attributs surnaturels. L’énigme centrale, souvent ressassée quand une fiction historique implique Vlad Tsépech, est de trouver l’emplacement de la tombe de ce prince sanglant. Chaque érudit qui part en quête est entravé par un réseau de vampires du genre zombie, qui ne semblent pas eux-mêmes savoir où se trouve le tombeau ; le premier tome est donc une vaste chasse au trésor impliquant les Gentils et les Méchants.

Kostova rappelle, ce qui est assez rare pour que ça me fasse plaisir, que les légendes sur les actes sanglants perpétrés par le Voïévode sont avant tout issues de textes pamphlétaires (vous pouvez en lire un certain nombre d’extraits dans le Patrimoine littéraire européen approprié, je vous mettrai la ref. en commentaire, un jour que je serai un peu plus vive); mais elle n’insiste pas sur le fait qu’il s’agissait, à l’époque, très certainement, d’une manœuvre politique visant à évincer Vlad, qui avait été un allié de la cause chrétienne (pour laquelle il partit en Croisade et massacra évidemment beaucoup de personnes, comme dans les Croisades, quoi), sans que cela ne soulève l’opinion. Autrement dit, il y a de fortes chances pour que la plupart des actes de cruauté que la légende a colporté jusqu’à nous, soient inventés.

Pour son roman, Kostova choisit de relier fortement l’histoire de Dracula aux Ottomans, ce qui lui permet de situer une bonne partie du décor à Istanbul (belles images de film en perspective et cliché navrant). Mais l’Europe y passe aussi largement et notamment la France, à travers des descriptions qui ont le mérite d’être raisonnablement brèves, mais très répétitives (descriptions de vues avec leur histoire, repas typiques roboratifs, chambres d’hôte…).

Malgré tout, on finit par entrer un peu dans l’histoire, à suivre l’intrigue, bien qu’elle soit assez longue à démarrer, à mon avis, pour un tel roman, qui ne m’inspire pas de grands commentaires.

Ça se lit, si un jour vous ne savez pas quoi prendre au kiosque de la gare, allez-y…

(et pour lire la critique de la suite, c’est ici : L’Historienne et Drakula (2), Elizabeth Kostova

Cold Gotha de Guillaume Lebeau

Les éditions Baleine, sous la houlette de deux écrivains adeptes de l’encre noire de Chine, Guillaume Lebeau et Xavier Mauméjean, lancent la collection « Club Van Helsing ». La Baleine nous avait déjà offert une autre collection : Le Poulpe ! Pour sa première saison comportant huit volumes, le CVH s’offre quelques belles plumes du roman noir et fantastique du moment : Maud Tabachnik, Guillaume Lebeau, Xavier Mauméjean, Heliot Johan, Bizien Jean-Luc. Continue reading Cold Gotha de Guillaume Lebeau

Vampire Junction (Timmy Valentine I)

Folio enrichit sa bibliothèque argentée de la fameuse trilogie vampirique de S.P. Somtow

S. P. Somtow à 14 ans, qui ne s’appelait pas encore S.P. Somtow
S. P. Somtow à 14 ans, qui ne s’appelait pas encore S.P. Somtow

Folio enrichit sa bibliothèque argentée de la fameuse trilogie vampirique de S.P. Somtow (parue en poche précédemment chez J’ai lu), Timmy Valentine. Essentiel vampirique moderne s’il en est, jugez plutôt : il est au sommaire de VAMPIRES. Dracula et les siens, l’antho vampirique OMNIBUS présentée par Jean Marigny et ses copains vampirophiles (et ça, lecteur au longues dents qui débute dans le domaine littéraire vampirique, c’est un excellent tuyau, ce volume est ta Bible) et c’est déjà un indice. C’était donc l’occasion pour moi de m’y plonger enfin, dans un coin où on ne me voyait pas trop, vu qu’il est honteux de ne l’avoir jamais lu après toutes ces années à adorer la Grande Canine…

Timmy Valentine est une trilogie dont Vampire Junction est le premier volet. C’est aussi le roman qui rendit S.P. Somtow célèbre. C’est un auteur né en Thaïlande, comme on peut le lire sur ses traits (j’aime bien voir le visage des écrivains, c’est comme les inconnus dont il ne faut pas accepter les bonbons : la plupart du temps, ils ne paient pas de mine).

Le chanteur du groupe allemand Tokio Hotel
Le chanteur du groupe allemand Tokio Hotel

Timmy Valentine, nom qu’il se donne dans la période où se passe l’action principale du roman, est un enfant vampire de 12 ans, idole pop rock pour adolescents. Et là, je ne vais pas être sympa, je vais vous dire à qui je n’ai pu m’empêcher de l’identifier physiquement tout le long de ma lecture (ça vous poursuivra, j’espère, ghahaha) :

Mais bref, passons à l’histoire : Valentine est un vampire qui a plus de 2000 ans, il naquit à la nuit alors qu’on venait de le castrer, lui qui avait une voix extraordinaire, enfin qu’il la garde pour l’éternité. Au moment où commence le récit, il décide d’entreprendre une psychanalyse à l’aide de Carla, à laquelle il confiera, dans cette perspective, des épisodes de son passé : déportation à Auswitzch, victime de Gilles de Rais, spectateur d’un rituel satanique… ouaaaah, comme c’est original, me direz-vous.

Mais ça l’est, réellement. Ca ne le serait pas s’il se contentait d’une confession ricienne, cependant, il ne s’agit pas du tout de cela. Timmy n’est pas qu’un romantique dépressif, et Carla n’est pas un journaliste à la recherche d’un original : c’est une adepte de la psychanalyse jungienne et Timmy se prend pour un archétype. Il est une sorte d’égrégore (inconscient collectif, pour la version Jung) du côté obsur de l’humanité, la matérialisation de ses peurs, de ses sombres fantasmes, bref, du côté de l’ombre et c’est parce qu’il est un reflet, qu’il ne pourrait pas avoir de reflet. Rien de nouveau sous la lune. Oui, c’est vrai, c’est ce qui est entre les lignes de toute la littérature vampirique; combien de fois a-t-on, même, tenté de psychanalyser Stoker à travers son Dracula ? N’a-t-on pas répété ad nauseam que le comte représentait l’inavouable dans la psyché des autres personnages ? Que c’est ce qui expliquait pourquoi, dans le miroir, c’est soi qu’on voit, et pas le vampire qui devrait se renir à côté ? Oui, et Somtow a décidé de sortir cet aspect d’entre les lignes et d’en faire explicitement l’intrigue ! D’autres ont donné une voix au vampire, mais alors le vampire devenait humain psychologiquement, et finalement, on revenait au point de départ. Vampire Junction fait parler un archétype et se construit autour de la quête menée par cet archétype. Cela donne un résultat peu banal pour une histoire de vampires.

timmy valentineAu final, on ne sait pas réellement si Timmy a vécu les évènements historiques qu’il raconte, car c’est leur symbolique qui compte, il a pu en vivre des centaines d’autres au signifié équivalent, parce que l’humanité les a vécus et qu’il lui est inhérent. A côté de ça, l’autre intrigue, celle qui produit l’action, met en mouvement, fait se produire ce qui doit se produire, se rencontrer ce qui doit se rencontrer (à Vampire Junction, évidemment), est essentielle mais presque dérisoire.

Pour prévoir la suite, les deux prochains volets, je suppose qu’il me faudrait réviser Jung, mais il me semble que le triangle enfin assemblé animus / anima / ombre, il nous reste le long chemin de l’individuation…

Quelques mots sur Jung : Jung, c’est le fils désobéissant de Freud, qui à partir de la découverte de l’inconscient par Freud, va développer tout autre chose. Voici quelques thématiques auxquelles il s’intéressa et machins conceptuels qu’il a inventé :

  • Il a inventé l’inconscient collectif, qui est intimement lié à sa notion d’archétype. Les archétypes seraient des sortes de structures prêtes à remplir que se trimballe l’humanité peu ou proue depuis son origine, et où elle met des trucs différents selon sa culture, ses représentations…
  • Il a mené des recherches sur la synchronicité, qui est, en très très gros, une tentative de découvrir le fonctionnement du hasard. C’est intéressant par rapport au roman, dans la mesure où les destins des personnages y sont tissés pour que des rencontres aient lieu à certains moments précis, dans des circonstances précises. Somtow utilise le mot “karma”. Mais ce n’est pas exactement la même chose.
  • On peut noter aussi que Jung s’est intéressé à une certaine culture orientale, par exemple aux mandalas, et à des contes indiens. Or, une part de l’intrigue a lieu en Inde, dans Vampire Junction. Et pendant que je suis dans les recoupements à 2 balles, j’ajoute cette hypothèse tordue : de même que les mandala, le roman fonctionne en cercle (retour, à la fin, à la situation originelle) avec des motifs répétitifs (la fôret, par exemple, ou le fait qu’il est sous-entendu que les évènements auraient pu être échangés avec d’autres).

Vampire de Ropraz

La première oeuvre vampirique remarquable de cette année est sans doute le dernier roman en date de cet ancien prix Goncourt : Jacques Chessex.

vampire roprazRemarquable par la presse, la radio, la télé, pour commencer. Oui, forcément, un Goncourt, un roman racontant d’horrribles faits dans une pornographie de détails gore, des descriptions inflexibles, légistes, des sévices subis par des corps de presque fillettes que la mort faucha trop tôt-pas au goût de tout le monde. On se demande jusqu’à quel point Chessex n’aurait pas quelques fantasmes inavouables. Les medias se le demandent. Mais les media sont des cons.

Heureusement, ce petit roman (à peine plus d’une centaine de pages), mérite d’être remarqué par d’autres que ces rigolos. Nous, inconditionnels du mythe du vampire, par exemple.

C’est donc avec un sentiment partagé que je tendis la somme due à mon libraire pour acquérir ce livre dont, d’une part, on m’avait trop rabattue les oreilles pour que je n’ai pas envie de le bouder un peu, mais à propos duquel j’éprouvais une curiosité quant au traitement du mythe du vampire : parlait-on réellement dans ce roman de vampirisme, ou cela était-il une façon de dire “monstre” pour un être que la bonne morale juge inhumain ? Car ce livre s’annonce d’emblée comme n’appartenant pas au genre fantastique…

Jacques chessexEn 1903 à Ropraz, dans le Haut Jorat vaudois, la fille du juge de paix, la virginale Rosa, meurt à vingt ans d’une méningite. Dans l’hiver qui souffle, un promeneur trouve le couvercle du cercueil soulevé, le cadavre violé, la main gauche coupée net, le sexe mastiqué, le coeur disparu. Profanation. Horreur. Stupéfaction villageoise, crainte du diable, soupçons de vampirisme, ail et crucifix accrochés aux maisons pourtant protestantes… En avril de la même année, deux autres profanations atroces sont exécutées de manière semblable : à Carrouge, des gamins jouent à la balle avec la tête scalpée de Nadine ; à Ferlens, c’est la blanche Justine qu’on profane. Monte la rumeur, comme une houle : il faut un coupable pour des crimes qui rappellent à chacun la ‘crasse primitive’, les vices cachés ; les étreintes contre nature. Favez, un garçon de ferme un peu idiot aux yeux rougis, à l’épaule saillante, aux longues canines, qu’on a surpris à l’étable abusant des génisses, sera le coupable idéal. Il sera jugé et condamné, puis on perd sa trace après 1915. Lire l’Incipit sur le site de l’éditeur.

Loin de vous proposer une analyse de ce roman sous quelque angle que ce soit, je vous soumets simplement quelques points, quelques pistes :

Le “vampire” est de fait un nécrophile, comme vous pouvez vous en rendre compte dans le résumé. Bon, me dis-je à la premier page, je ne trouverai pas l’ombre d’un vampire. Je me trompais, car c’est de l’ombre surtout, que l’on trouve, des correspondances avec le mythe, du subtil plutôt que du patant.

Par de multiples aspects, le livre renoue, plus précisément avec l’époque Dracula : la parole est retirée au “vampire” (quelques décennies après l’avènement du vampire parlant, ça fait du bien de ne plus l’entendre tergiverser à la Louis de la Pointe du Lac, non ?), ce sont les autres qui parlent de lui, ce sont les autres qui cherchent et se cherchent en lui. Qui cherchent, parce qu’ils ne comprennent pas comment une “telle horreur” (Mais qu’est-ce qui est horrible finalement ? Les cadavres ne souffrent pas, aux dernières nouvelles… ce qui est horrible est le manque de respect et donc de peur, devant la mort. L’affront de la mort est une caractéristique du vampire, mais aussi sa mise au jour, son spectacle, le vampire fait voir ce qui doit être caché : le cadavre. Le vampire fantastique en étant lui-même un cadavre, le héros de ce livre en les sortant de leur tombe. est possible. Les psy passent d’ailleurs à côté, le faisant élargir une première fois : ils ne le croient pas coupable, ils ne comprennent pas à quel moment le vampire est né, où se situe la genèse. Comme pour Dracula, le mystère est jeté sur sa naissance en tant que monstre, que vampire. Pourtant, ils connaissent son histoire, les violences sexuelles subies dans son enfance, la misère, le manque d’éducation. C’est pourquoi en lui les habitants du village, au fond, se cherchent, cristallisent en lui leur culpabilité, la conscience qu’ils ont, de vivre dans un hameau consanguin, incestueux, malsain, primaire, obscur, violent, frustré. En lui ils veulent punir cela. On retrouve aussi un peu la population porteuse de superstitions de Dracula. D’autant plus qu’en réalité, jamais il n’est prouvé qu’il est coupable du viol des tombes. Mais ses yeux sont rouges, ses dents aiguës et c’est également ce qui participe à sa condamnation.

On note aussi une mystérieurse “dame blanche” qui vient rendre visite au monstre (au montré, au phénomène), plus vampire que le vampire, venue assouvir sur lui de pervers fantasmes.

Présence d’un asile psychiatrique où les médecins sont assez expérimentateurs, allusion à Dracula encore ?

Et la fin du livre, que je ne saurai interpréter, sinon qu’elle montre à quel point le “vampire de Ropraz” fut soumis au destin général plutôt qu’au sien propre. Il est un témoignage des autres plutôt que de lui-même. En cela peut-être la fin a-t-elle un sens. Et aventureusement, je me dis qu’ici encore il rejoint Dracula, ce titre qui peut être lu comme une épitaphe. Mais là, je ne peux en dire plus sans vous parler du dénouement.

Finalement, à la question de savoir si ce livre parle d’un vampire, je dois dire non, pas à mon sens. Mais est-ce que ce roman utilise et enrichit le mythe vampirique : mais oui ! Et comment ! C’est, j’espère qu’on s’en rendra compte, un futur incontournable de la littérature vampirique, une nouvelle façon d’énoncer le mythe, de le rendre pertinent pour évoquer notre monde rongé par la lumière crue de la science, assoiffé de sensationnel, éclairé par les media qui rendent les actes de violence une anecdote de comtoir nationale, et se sentant coupable. L’engouement médiatique à la curiosité au goût douteux pour ce livre prouve peut-être la justesse de cette mise à jour du mythe.

Le syndrome de Renfield

reinfieldLes psy (chanalystes, chiatres, logues, chotrucs), pour expliquer les cas dont ils s’occupent et tout faire rentrer dans des cases bien comme il faut, aiment bien se référer à des mythes. Freud, c’était Oedipe, pour les tueurs sanguinaires, il y a les vampires. Sans compter que c’est un mot qui plaît particulièrement aux media et aux procureurs dans les affaires les plus sordides : “vampire” devient synonyme de “monstre”, alors que souvent, le comportement du tueur n’a pas de rapport, à proprement parler, avec le vampirisme clinique. On parle donc fréquemment de vampires pour des meurtres choquants, mais les véritables cas de vampirisme clinique, comme les décrit Richard Noll, sont finalement assez peu courants.

Il me semble pourtant que l’on pourrait, au vu de la nature des actes commis et des antécédents parfois connus, rapprocher certains criminels de cette typologie : Fritz Haarman, Peter Kürten, Andrei Chikatilo, ou encore John Haig ; le cas de Richard Trenton Chase semble vraiment assez particulier…

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Erzsébet Báthory

erzebeth bathoryErzsébet Báthory Nádasty
1560 – 1614
de sinistre mémoire

Tout amateur de vampire qui se respecte a déjà entendu parler de ce monstre national hongrois rendu célèbre par ses actes de cruauté. Les orgies sanguinaires que Bathory orchestrait en son sombre château valurent en effet à cette criminelle de haute lignée (elle était la nièce du futur roi de Pologne) le surnom de «bloody lady » : elle appartient au domaine vampirique au moins autant que Gilles de Rais ou Vlad Tepes.

Ah la famille…

La moindre des choses qu’on puisse dire, c’est qu’Erzsébet n’est pas née dans une famille de saints. Etant de sang royal, celle-ci se permettait des dérives, parfois criminelles. Les plus lointains ancêtres, sans doute les Huns, s’étaient d’ailleurs imposés en maîtres en faisant couler le sang à flots. D’eux, la famille garde des traditions et rituels occultes, un mode de pensée loin de la moralité catholique, bien qu’elle soit de confession chrétienne. Citons un frère attiré tant par les petites filles que par les vieilles dames, une tante grande dame de la cour de Hongrie défrayant la chronique à cause de ses mœurs lesbiennes auxquelles elle initiait de tendres fillettes. Il ne fait pas de doute que la nourrice de la petite Erzsébet a exercé une influence sur elle. Cette femme pratiquait la magie noire et des rituels pervers : on verra réapparaître ce personnage plus tard.

L’enfance d’Erzsébet

bathory comtesseC’est au milieu de cette charmante famille à laquelle les Adams eux-mêmes n’auraient sans doute pas aimé avoir affaire que grandit Erzsébet, élevée plus particulièrement, comme c’était la tradition, par sa future belle-mère qui l’assomme de saintes lectures et de prières. Or on voit l’effet que produisent les récits de la crucifixion et autres transcendants passages de la Bible sur certaines âmes. Pensons à la charmante Polyxena (elle aussi en découd avec une hérédité sanguinaire) de Meyrink dont la frénésie religieuse la rend hématophile… mais je m’égare. Elle a quatorze ans lorsqu’elle accouche, dit-on, d’une fille certainement issue de sa liaison avec un paysan. Sa vie sexuelle démarre donc assez tôt et sera d’emblée liée à la perte d’un enfant. A ce moment, elle était déjà fiancée à Férencz Nàdasdy, un comte appartenant à la meilleure noblesse hongroise, redoutable guerrier qui devint illustre et mérita, par la suite, le titre de “cavalier noir de la Hongrie”. A quinze ans, Erzsébet se marie. Nàdasty étant la plupart du temps à la guerre, c’est de fait elle qui gouverne l’austère château de Csejthe et ses vastes domaines. Nous n’en savons guère plus sur l’enfance de Bathory, sinon qu’elle était d’une nature solitaire et sujette à de fréquentes crises d’hystérie, encore tout cela est-il sujet à caution : cette période de sa vie, genèse de l’histoire de la plus fameuse tueuse en série de tous les temps, a été rendue (comme le reste), à jamais opaque et énigmatique, mais fascinante, par l’œuvre séculaire de l’imagination populaire.

Sa carrière criminelle

Tout commença, paraît-il, de la manière suivante : alors que la comtesse Bathory giflait une de ses domestiques qui lui avait malencontreusement tiré les cheveux, cette dernière se mit à saigner du nez et le sang rejaillit sur la main aristocratique. Quelques instants plus tard, elle découvrait sous le sang qui avait tâché sa main une peau devenue plus jeune, plus douce et plus blanche. Ni une, ni deux, elle fit égorger sa servante, aidée de son ancienne nourrice, Ilona Joo, devenue, depuis, son âme damnée, afin de prendre un bain de sang.

Comme l’expérience fut probante, mais son résultat passager, elle recommença avec d’autres jeunes filles qu’elle appâtait, avec l’aide d’Illona, d’une autre mystérieuse sorcière et de son nain Flisko, en leur faisant briller un poste de domestique au château ou par la menace, l’intimidation, les promesses d’argent, raffinant progressivement l’art de la mise à mort. Erszébet fit ainsi fabriquer un charmant jouet appelé vierge de fer que l’on trouve habituellement dans les salles de torture de l’Inquisition, sorte de statue qui se mettait à sourire lorsque ses bras embrassaient sa victime, la transperçant des cinq poignards qui lui tenaient lieu de seins.

Dame de fer nurmeberg bathoryCes atrocités sont perpétrées pendant environ une décennie avant sa mort, mais en réalité, son goût prononcé des supplices avait commencé de s’exprimer bien plus tôt, alors que son mari était encore de ce monde, comme peuvent en témoigner les actes de son procès. Bien qu’à cette époque, elle n’allât pas jusqu’à tuer ses victimes, cette virtuose es barbaries a-t-elle jamais été novice en matière de cruauté ? Le comte Nadasty, qui était au courant, ne se préoccupait pas outre mesure que sa femme noircisse à force de coups la peau des domestiques.

La comtesse employait plusieurs autres techniques pour recueillir le sang des jeunes filles, le plus souvent belles et vierges. Elle leur perçait la gorge, véritable vampire humain ; les engraissait, pensant que la quantité de sang augmentait en conséquence. On raconte même qu’après s’être baignée dans le sang fumant des vierges, elle demandait à des jeunes filles de lécher minutieusement tout son corps, prétendant que la rugosité du tissu agressait sa peau délicate.

Au cours de sa carrière criminelle, elle tortura et assassina des centaines de filles, on estime généralement un nombre de victimes supérieur à six-cent. Ce n’est pas pour ces victimes qu’on l’a arrêtée, mais parce que, folle de rage, elle assassina quasi publiquement une jeune soprano qui n’osait pas chanter devant elle. Pour châtier les deux femmes complices, on leur trancha le poing, puis on les brûla vives ; le nain Flisko subit la même amputation avant d’être privé de sa tête (était-ce de l’humour noir de la part du juge d’ordonner de raccourcir le nain ?). Quant à la sanglante comtesse, eu égard à son rang, elle fut emmurée dans l’un de ses châteaux, où elle décéda trois ans plus tard.

La beauté d’Erzsébet – Dracula et Erzsébet

Dans les rumeurs et, peut-être, les fantasmes qui nous parviennent, la comtesse était une très belle femme au teint de porcelaine laissant apparaître de fines veines par transparence. Cela correspond au canon de l’époque… et à la beauté vampirique décrite dans les romans. En réalité, un étrange mystère plane quant à sa véritable apparence physique. Plusieurs portraits la représentent, mais tous diffèrent : l’original a disparu et nous ignorons laquelle des versions est une copie du portrait original… si jamais il y en a une. Dans le manuscrit de Stoker, retrouvé dans les années 1970 par Raymond McNally, on peut lire le projet d’un épisode qui n’apparaît pas dans le roman, où un artiste est engagé pour faire le portrait de Dracula, mais le peintre n’y parvient jamais : le sujet finit toujours par ressembler à quelqu’un d’autre. Les similitudes de ces anecdotes sont troublantes, ne trouvez-vous pas ? D’ailleurs, Jacques Finné tente de démontrer qu’un lien de parenté existe avec le Dracula historique. Pour tortueuse et difficilement vérifiable, cette hypothèse n’est pas totalement invraisemblable.

Trois des portraits de Bathory; les spécialistes ne s’accordent pas : Penrose donne le deuxième comme l’original, mais Mac Nally mise sur le troisième…

Bathory1-5dea4bathory erzebethbathory Elisabeth

La femme

Erzsébet était un monstre qui profitait de sa position sociale pour matérialiser ses fantasmes morbides, mais pas seulement. Outre sa beauté, ce qui rend la terrible comtesse magyare fascinante, c’est qu’elle était une femme intelligente, qui a su manipuler et s’entourer d’étranges serviteurs fidèles tout droit sortis des enfers. Elle était cultivée, avait des connaissances ressortissant de cultes païens aussi bien que chrétiens ; polyglotte, elle se mêlait de politique et gérait plusieurs châteaux avec leurs domaines. Elle était peut-être aussi bisexuelle (il me semble de toute façon assez clair que ses crimes avaient un fondement d’ordre sexuel) : une femme déguisée en homme venait souvent lui rendre visite.

Vampire ou pas vampire ?

Au sens propre, a priori, non. Elle a bel et bien assassiné des centaines de jeunes filles, mais elle n’était pas cannibale et, vraisemblablement, malgré la légende, n’a pas pris de bain de sang. Tout comme Vlad Tepes mangeant des bouts de pain trempés dans du sang tient certainement du mythe. Mais qu’est-ce qui fait qu’on s’en souvient ? Les faits ou ce qu’on en retient, leur symbolique ? Le peuple, les romanciers et les cinéastes choisissent évidemment la deuxième option.

Au niveau de la symbolique, on est servis : sang, sexe, mort ; c’est la devise du vampire. Ajoutons à cela que la comtesse sanglante était à la recherche de la jeunesse éternelle et que lors de son arrestation, il est dit qu’on ne put que contempler une femme étonnamment belle et fraîche pour son âge, ce qui accentue en plus son côté femme fatale, inhérent aux femmes-vampires de fiction.

Une autre histoire nous parvient concernant un sombre personnage, un jeune homme au teint cadavérique, nommé Cadevrius Lecorpus. Il était vêtu de noir, ses yeux étaient d’obsidienne et de longs cheveux de jais encadraient son visage pâle. Les servantes de la comtesse allèrent jusqu’à raconter qu’il possédait des canines anormalement aiguës (l’anecdote a donc sûrement été inventée tardivement, puisque le vampire n’est muni de canines que depuis notre période romantique).

Remarquons encore qu’Erzsébet appartient à la haute aristocratie, comme c’est très souvent le cas pour les vampires de la littérature. Ainsi, Carmilla, la charmante créature aux penchants homosexuels dans le premier roman vampirique, est une comtesse. Aussi qu’elle est slave, comme il est de tradition que les vampires le soient, et que sa légende est quasi inséparable de son château de Csejthe où elle a perpétré grand nombre de ses forfaits et où elle fut emmurée, comme on ne se souvient pas de Dracula sans se rappeler de son château qui lui survit également. Dernière considération : elle était initiée aux sciences occultes, ce qui était aussi le cas de Dracula, que Stoker via Van Helsing nous décrit comme un des plus savants de son temps, ayant même participé à la mythique Scholomance, école généralement située en Transylvanie, où les leçons étaient prodiguées par Satan en personne.

Fiction

Comme de juste, Bathory a inspiré un certain nombre de romanciers, voici les principaux :

  • La Comtesse sanglante, de Valentine Penrose, le mieux écrit.
  • La Comtesse de sang, de Maurice Périsset, plus récent, mais reprenant à peu de choses près la même trame, en moins bien écrit.
  • Les Archives de Dracula, de Raymond Rudorff, dont Bathory n’est pas l’unique personnage principal.
  • « Sanguinarius », de Ray Russell, une brillante nouvelle.

Ouf, Erzsébet n’a pas encore inspiré de comédies musicales (j’espère ne pas donner d’idées), mais deux opéras rendent hommage à la féroce châtelaine :

  • Erzsébet : opéra pour une femme seule en six moments lyriques, de Ludovic Janvier et Charles Chaynes, représentation à l’Opéra de Paris en 1983
  • Erzsébet, de Dennis Bathory-Kitsz où l’auteur a choisi de mettre en perspective le personnage de la soprane assassinée et les relations d’Erzsébet avec ses complices. Vous pouvez en apprendre plus en consultant le site du compositeur : http://bathory.org (en anglais avec une page en français qui a paru aussi dans le Requiem n°7).

Les films :

penrose valentine Sources

  • Site de l’auteur d’un opéra sur Bathory, peut-être un descendant de la comtesse : http://bathory.org .
  • L’article de la Wikipédia consacré à la comtesse.
  • Le Livre secret des sorcières, Katherine Quenot, Albin Michel, 1997
  • Grand dictionnaire universel du XIXème siècle, Larousse
  • Vampire, portrait d’une ombre, collectif, sous la direction de Léa Silhol, éditions Oxymore, 1999
  • Les Maudits, Jacques Finné, Marabout, 1974
  • Requiem, les archives du vampirisme n°7 (avril-juin 1998), « Erzsébet Bathory, la comtesse sanglante », Cercle d’Etudes Vampiriques
  • perisset comtesse de sangLa Nuit de Walpurgis, de Gustav Meyrink, dont les éditions Flammarion ont eu l’excellente idée de nous offrir une nouvelle traduction en 2004. Ce chef d’œuvre ésotérique du fantastique pragois met en scène Polyxena, une figure de femme-vampire des plus fascinantes associée au mythe de la femme slave, vampire humain s’identifiant au portrait d’une lointaine aïeule. Et oui, encore une histoire de portraits.

« S’il est vrai qu’essentiellement “diabolique” signifie la coïncidence de la mort et de l’érotisme, pourrions-nous manquer si le diable n’est à la fin que notre folie, si nous pleurons, si de longs sanglots nous déchirent – ou si le fou rire nous prend –, pourrions-nous manquer d’apercevoir, liée à l’érotisme naissant, la préoccupation, la hantise de la mort ? »
Georges Bataille, « Les Larmes d’Eros »