Remarquable par la presse, la radio, la télé, pour commencer. Oui, forcément, un Goncourt, un roman racontant d’horrribles faits dans une pornographie de détails gore, des descriptions inflexibles, légistes, des sévices subis par des corps de presque fillettes que la mort faucha trop tôt-pas au goût de tout le monde. On se demande jusqu’à quel point Chessex n’aurait pas quelques fantasmes inavouables. Les medias se le demandent. Mais les media sont des cons.
Heureusement, ce petit roman (à peine plus d’une centaine de pages), mérite d’être remarqué par d’autres que ces rigolos. Nous, inconditionnels du mythe du vampire, par exemple.
C’est donc avec un sentiment partagé que je tendis la somme due à mon libraire pour acquérir ce livre dont, d’une part, on m’avait trop rabattue les oreilles pour que je n’ai pas envie de le bouder un peu, mais à propos duquel j’éprouvais une curiosité quant au traitement du mythe du vampire : parlait-on réellement dans ce roman de vampirisme, ou cela était-il une façon de dire “monstre” pour un être que la bonne morale juge inhumain ? Car ce livre s’annonce d’emblée comme n’appartenant pas au genre fantastique…
En 1903 à Ropraz, dans le Haut Jorat vaudois, la fille du juge de paix, la virginale Rosa, meurt à vingt ans d’une méningite. Dans l’hiver qui souffle, un promeneur trouve le couvercle du cercueil soulevé, le cadavre violé, la main gauche coupée net, le sexe mastiqué, le coeur disparu. Profanation. Horreur. Stupéfaction villageoise, crainte du diable, soupçons de vampirisme, ail et crucifix accrochés aux maisons pourtant protestantes… En avril de la même année, deux autres profanations atroces sont exécutées de manière semblable : à Carrouge, des gamins jouent à la balle avec la tête scalpée de Nadine ; à Ferlens, c’est la blanche Justine qu’on profane. Monte la rumeur, comme une houle : il faut un coupable pour des crimes qui rappellent à chacun la ‘crasse primitive’, les vices cachés ; les étreintes contre nature. Favez, un garçon de ferme un peu idiot aux yeux rougis, à l’épaule saillante, aux longues canines, qu’on a surpris à l’étable abusant des génisses, sera le coupable idéal. Il sera jugé et condamné, puis on perd sa trace après 1915. Lire l’Incipit sur le site de l’éditeur.
Loin de vous proposer une analyse de ce roman sous quelque angle que ce soit, je vous soumets simplement quelques points, quelques pistes :
Le “vampire” est de fait un nécrophile, comme vous pouvez vous en rendre compte dans le résumé. Bon, me dis-je à la premier page, je ne trouverai pas l’ombre d’un vampire. Je me trompais, car c’est de l’ombre surtout, que l’on trouve, des correspondances avec le mythe, du subtil plutôt que du patant.
Par de multiples aspects, le livre renoue, plus précisément avec l’époque Dracula : la parole est retirée au “vampire” (quelques décennies après l’avènement du vampire parlant, ça fait du bien de ne plus l’entendre tergiverser à la Louis de la Pointe du Lac, non ?), ce sont les autres qui parlent de lui, ce sont les autres qui cherchent et se cherchent en lui. Qui cherchent, parce qu’ils ne comprennent pas comment une “telle horreur” (Mais qu’est-ce qui est horrible finalement ? Les cadavres ne souffrent pas, aux dernières nouvelles… ce qui est horrible est le manque de respect et donc de peur, devant la mort. L’affront de la mort est une caractéristique du vampire, mais aussi sa mise au jour, son spectacle, le vampire fait voir ce qui doit être caché : le cadavre. Le vampire fantastique en étant lui-même un cadavre, le héros de ce livre en les sortant de leur tombe. est possible. Les psy passent d’ailleurs à côté, le faisant élargir une première fois : ils ne le croient pas coupable, ils ne comprennent pas à quel moment le vampire est né, où se situe la genèse. Comme pour Dracula, le mystère est jeté sur sa naissance en tant que monstre, que vampire. Pourtant, ils connaissent son histoire, les violences sexuelles subies dans son enfance, la misère, le manque d’éducation. C’est pourquoi en lui les habitants du village, au fond, se cherchent, cristallisent en lui leur culpabilité, la conscience qu’ils ont, de vivre dans un hameau consanguin, incestueux, malsain, primaire, obscur, violent, frustré. En lui ils veulent punir cela. On retrouve aussi un peu la population porteuse de superstitions de Dracula. D’autant plus qu’en réalité, jamais il n’est prouvé qu’il est coupable du viol des tombes. Mais ses yeux sont rouges, ses dents aiguës et c’est également ce qui participe à sa condamnation.
On note aussi une mystérieurse “dame blanche” qui vient rendre visite au monstre (au montré, au phénomène), plus vampire que le vampire, venue assouvir sur lui de pervers fantasmes.
Présence d’un asile psychiatrique où les médecins sont assez expérimentateurs, allusion à Dracula encore ?
Et la fin du livre, que je ne saurai interpréter, sinon qu’elle montre à quel point le “vampire de Ropraz” fut soumis au destin général plutôt qu’au sien propre. Il est un témoignage des autres plutôt que de lui-même. En cela peut-être la fin a-t-elle un sens. Et aventureusement, je me dis qu’ici encore il rejoint Dracula, ce titre qui peut être lu comme une épitaphe. Mais là, je ne peux en dire plus sans vous parler du dénouement.
Finalement, à la question de savoir si ce livre parle d’un vampire, je dois dire non, pas à mon sens. Mais est-ce que ce roman utilise et enrichit le mythe vampirique : mais oui ! Et comment ! C’est, j’espère qu’on s’en rendra compte, un futur incontournable de la littérature vampirique, une nouvelle façon d’énoncer le mythe, de le rendre pertinent pour évoquer notre monde rongé par la lumière crue de la science, assoiffé de sensationnel, éclairé par les media qui rendent les actes de violence une anecdote de comtoir nationale, et se sentant coupable. L’engouement médiatique à la curiosité au goût douteux pour ce livre prouve peut-être la justesse de cette mise à jour du mythe.