Entretien avec Edouard Brasey

Morsure : Bonjour Edouard, première question, quelle est l’histoire de ce roman ?

Edouard : Il s’agit d’un roman gothique, fondé sur l’idée d’un carnet de route, d’un journal intime retrouvé dans un manoir en ruines, un peu à la manière des romans de la fin du XIXe siècle comme Dracula de Bram Stocker, que je cite d’ailleurs en épigraphe. L’action du roman débute d’ailleurs en 1897, année de publication de Dracula.
Le récit est narré par un jeune homme de 17 ans, Raoul Folerrand, qui se réfugie dans un mystérieux manoir où demeure une femme somptueuse et sans âge, la marquise de Mortemare, et son mari, vieillard cacochyme.
Les nuits de pleine lune, on perçoit les hurlements d’un loup garou qui rôde dans la région. Raoul tombe sous la coupe de la marquise, devient son amant… et peu à peu découvre les terrifiants secrets qui hantent ce manoir…

Morsure : T’es-tu documenté ? Sur quels sujets ?

Edouard : Je me suis beaucoup documenté sur les métamorphoses des loups-garous et les différents types de vampirisme, notamment le vampirisme sexuel qui est l’un des sujets de ce roman. J’ai également étudié l’histoire des mouvements ésotériques “noirs” qui ont existé au milieu du XIXe siècle en Allemagne et ont inspiré, un siècle plus tard, le national-socialisme.

Morsure : Pourquoi avoir situé l’intrigue à cette époque ?

Edouard : Parce que tout ce que l’on connaît des racines occultes du national-socialisme – révélées notamment dans Le Matin des magiciens de Pauwels et Bergier – trouve son origine dès 1850 avec le réveil nationaliste de la Prusse ou des mouvements anarchistes et révoltés comme les “Werewolf”, les “loups-garous”. Tout cela est pratiquement inconnu aujourd’hui, et pourtant cela permet de comprendre beaucoup de choses sur la naissance et le développement ultérieur de mouvements fascistes ou nazis.

Morsure : Les lecteurs éclairés remarqueront une dédicace cachée à Claude Seignolle, grand maître romancier de l’imaginaire populaire. D’où connais-tu Seignolle ? Et pourquoi cette dédicace ?

Edouard : Nous sommes peu à nous intéresser à la fois au fantastique et au folklore. Seignolle m’a fait l’honneur de lire certains de mes livres et de m’écrire pour m’en dire grand bien. Il m’envoie aussi ses livres avec de gentilles dédicaces et parfois me téléphone pour me raconter des histoires incroyables. J’ai voulu lui rendre cet hommage discret, en le rebaptisant C. Saignol, notaire à Saint-Viâtre. Seignolle a joué le jeu en m’écrivant une lettre dans laquelle le notaire présumé raconte comment il est tombé, voici près de soixante ans, sur ce fameux manuscrit retrouvé dans un manoir en ruines, et qui fait l’objet du roman. Sur le dos de la lettre, il y a une photo de Seignolle en train de me tirer la langue.

Morsure : La première scène d’amour entre Clarimonde et Raoul est quasiment le récit d’une séance de vampirisation pratiquée par certains vampires sexuels. Cette scène est très bien décrite et très inspirée. As-tu déjà été victime de ces pratiques ? Etais-tu victime coopérante ou malgré toi de ce vol d’énergie vitale ?

Edouard : Il y a une quinzaine d’années, j’ai beaucoup enquêté sur la magie, la sorcellerie, etc. Cela a donné lieu à mon Enquête sur l’existence des anges rebelles, épuisée aujourd’hui. J’avais notamment étudié les phénomènes d’incubat et de succubat, obtenu des témoignages. J’ai même, parfois, été la victime involontaire de la visite nocturne de certaines sorcières… Mais cela est une autre histoire.
Je précise qu’aujourd’hui j’ai totalement rompu avec l’univers assez glauque de la sorcellerie, qui ne m’intéresse plus que sur le plan littéraire.

Morsure : Au milieu du livre, les amateurs de tarot que nous sommes, nous rendons compte que cette histoire nous est étrangement familière. Et effectivement, nous sommes à l’intérieur de l’arcane XVIII de La Lune. Est-ce volontaire ou inconscient de ta part ? Cette arcane est pour moi la plus complexe du tarot de Marseille. Quelle signification a t’elle pour toi ?

Edouard : J’ai bien entendu voulu faire référence à cette lame du Tarot, qui m’intrigue autant que toi. Les chiens – ou loups ? – hurlant à la lune, les tours rappelant le manoir de Mortemare, le lac de l’Ecrevisse où Clarimonde de Mortemare “initie” Raoul au vampirisme sexuel. Quant à interpréter cette lame, j’en suis incapable. Je préfère en suggérer le mystère en mettant en scène les images et les symboles.

Morsure : Le personnage d’Hagen est effrayant de réalisme et ton incarnation dans ce personnage maléfique est complète. As-tu écrit possédé ou maître de toi ? Comment as-tu fait pour ne pas te transformer en loup-garou en écrivant ces mots ?

Edouard : Oui, j’ai voulu entrer dans la peau du Mal absolu et écrivant la confession de ce personnage effrayant, en suivant la logique d’endoctrinement militaire et d’initiation de magie noire qu’il a reçus. En poussant les choses au bout, y compris dans la damnation qui est le châtiment final de ce héros sombre. Pour me préserver des atteintes psychiques qu’aurait pu avoir sur moi la “possession”, fut-elle littéraire, de ce monstre, j’ai eu soin d’en écrire les pages les plus terrifiantes dans un monastère où j’ai accompli une retraite. Les prières et liturgies quotidiennes me permettaient de ne pas “péter les plombs” et de demeurer dans la “voie droite” de la spiritualité. Mais j’ai conscience que le danger de chute est réel.

Morsure : Le personnage d’Hagen est l’exemple parfait de ces nouveaux cultes étranges de sur-hommes ou plutôt anti-hommes (Extropians, Transhumanistes, Mutants, Otherkind, etc.) qui commencent à se faire entendre (notamment sur internet). Avais-tu eu connaissance de ces groupes ? D’un point de vue moral, que penses tu de ces théories (nietzschéenne détournées) ?

Edouard : Non, je ne savais pas que cela existait. Cela dit, cela ne m’étonne pas, car l’aspiration de ces êtres – comme le Hagen de mon roman – n’est pas de devenir un sur-homme – à savoir un homme parfait, dont le modèle pourrait être Jésus Christ – mais une bête sauvage.
C’est en réalité l’objectif final de tout endoctrinement fascisant : la bête, le robot, le golem.
D’un point de vue éthique et culturel, je condamne évidemment ces tentatives aussi absurdes que dangereuses, qu’il faut cependant distinguer des théories philosophiques de Nietzsche ou de pratiques telles que le chamanisme, par exemple, dans laquelle le chaman peut incorporer ses animaux de pouvoir.

Morsure : La religion Irministe existe t’elle ? Peux-tu m’en dire plus ?

Edouard : Là encore, il s’agit de traditions ésotériques se référant aux anciennes mythologies nordiques. On trouve cela dans des bouquins tels que Le matin de magiciens ou Les racines occultes du nazisme.

Morsure : Wotan en emporte le vent (trop fort ce Cyroul). Avec le personnage Hagen, nous plongeons dans la mythologie teutonne. As-tu une fascination spéciale pour cette mythologie ?

Wotan en emporte le ventEdouard : Wotan ou Odin est intéressant car c’est au prix de mutilations et de tortures volontaires qu’il a reçu l’initiation et le don de prophétie, comme les “Werewolf” de mon roman. Cela dit, la mythologie germanique, issue elle-même de la mythologie nordique, est exceptionnellement riche. Je me suis beaucoup nourri de l’Edda et des Nibelungen.

Morsure : Dans le roman, nous croisons le personnage de Wagner. Quelles musiques écoutais tu lors de l’écriture des “Loups de la pleine lune” ?

Edouard : J’écoutais en boucle la Tétralogie de L’Anneau du Niebelung de Wagner et les symphonies de Mahler.
Hagen est une référence au personnage de Siegfried, issu des Niebelungen – peuple nain souterrain -, qui tue le héros Wotan. Dans le roman, je lui fais d’ailleurs rencontrer Wagner, au moment où il avait pris part à un coup d’état révolutionnaire, et alors qu’il commençait à avoir le projet d’écrire sa fameuse Tétralogie – que j’ai eu le plaisir de voir à Bayreuth, dans la mise en scène de Patrice Chéreau et sous la direction de Pierre Boulez, en 1976.

Morsure : Le personnage de Clarimonde est un personnage dur et vraiment répugnant qui possède toutes les caractéristiques morales d’un homme. Qu’en est-il ?

Edouard : C’est une sorte de dominatrice, de vampire, de sorcière. Sa psychologie et sa sexualité sont en effet masculine – dans le mauvais sens du terme. Elle prend puis elle jette. Sa féminité ne s’arrête qu’aux formes de son corps et elle n’est capable d’aucun sentiment amoureux. Cela dit, de nombreuses femmes ressemblent à ce schéma. Ce sont des femmes cruelles et sans pitié, dont l’animus est hypertrophié. Lorsqu’on en rencontre une, il vaut mieux s’enfuir, car elles sont des “killeuses”.

Morsure : Clarimonde est une femme magnifiquement belle. Son nom reflète t’il son dualisme beauté/égoïsme (claire et immonde) ?

Edouard : Claire et immonde, c’est bien cela ! Bravo pour ton discernement ! Non seulement elle est belle, mais elle demeure éternellement jeune.

Morsure : Ton roman est intensément psychologique. En dehors des références au tarot, il propose une interprétation du mal. Ainsi Hagen -le déshumanisé- sera t’il soumis à une souffrance éternelle pour avoir compris qu’il faisait le mal. Mais alors qu’advint il de Clarimonde à la fin du roman ? Pourquoi cette personne aussi mauvaise réussit-elle à tromper la mort ?

Edouard : Même s’il incarne une forme de Mal absolu, Hagen est rattrapé in extremis par le remords, ce qui cause sa perte.
En effet, je prétends qu’il est presque impossible d’être entièrement mauvais, de faire toujours le mal. C’est épuisant, inhumain. Personne ne le peut, à moins d’être complètement aliéné.
Clarimonde, c’est autre chose. Elle s’en sort effectivement à la fin du roman, et on peut penser qu’elle reviendra, ailleurs, plus tard. Par exemple à Venise dans les années 1920… Mais là aussi, c’est une autre histoire…

Morsure : Quels sont tes ouvrages en court et tes futures projets (si l’on peut en parler) ?

Edouard : Je sors courant mars Les Univers de Jules Verne au Chêne, pour fêter le centenaire de la mort de cet auteur que j’ai dévoré durant mon enfance. Puis, en mai, le Guide du chasseur de fées, toujours au Pré aux clercs, et en octobre, le premier tome d’une Encyclopédie du fantastique qui comprendra plusieurs volumes. Et puis, des projets de romans, bien sûr…

Morsure : Pour finir, as-tu l’intention d’écrire un jour un roman ne traitant que de vampires ?

Edouard : Beaucoup de choses ont été faites sur le sujet, il faut trouver l’idée qui renouvelle le genre. Mais j’y pense en effet…

Merci Edouard et bonne continuation sur le chemin des vampires, des loups-garous, des fées et de la lune…

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