Les Chants de Maldoror

Isidore Ducasse, autoproclamé Comte de Lautréamont, est un poète maudit. Son œuvre majeure, Les Chants de Maldoror est passée inaperçue car trop anarchiste, trop immorale, trop antéchristique pour l’époque. Ce sera finalement André Breton et les surréalistes qui exalteront cette œuvre incomprise.

L’autre écrit de Lautréamont, ses Poésies, est une pathétique tentative de reconversion : face au scandale de ses Chants, qui a été étouffé en même temps que l’œuvre, Lautréamont se lance soudain dans la défense du Bien, de Dieu, et des valeurs les plus austères, allant même jusqu’à rejeter le romantisme.

Où est passé le poète décadent ? Fort heureusement, Monsieur Ducasse verra la mort l’année suivante.

Style

Parlons d’abord de la forme. Les Chants sont 6 parties composées de “strophes” écrites en prose.

En fait de poésie, Lautréamont mélange à la fois langage poétique et réflexions métaphysiques.

Du point de vue poétique, disons plutôt stylistique, quel génie ! Un style riche en images, plein de dérision (il s’amuse même parfois à se moquer de son propre style pompeux).

Du point de vue philosophique, les idées de Lautréamont, disons le tout de suite, sont dangereuses.

A quel degré y a-t-il adhéré, difficile à dire vu qu’il a tout renié deux ans plus tard : était-ce de la provocation irréfléchie ? Etait-il réellement ce dandy décadent ?

En tout cas, Lautréamont peint ici le mal dans tout ce qu’il y a de plus jouissif. On se délecte réellement des scènes de meurtres, viols, tortures, pédophilies…

Bref, vous l’aurez compris, c’est dangereux.

Si vous êtes quelqu’un d’instable, ne lisez pas ce livre ! Lautréamont y met à mal toute la morale, sans retenue. Il brise tous les tabous, affirme son homosexualité, ses pulsions de mort ou de sexe. Quelques années avant la psychanalyse, cet auteur laisse réellement exploser son inconscient, sans refoulement. Voilà pourquoi le livre fut occulté à sa sortie. Trop trash ! Dois-je en plus ajouter combien l’image de Dieu est bafouée, ridiculisée, réduite parfois à l’état d’animaux ?

Un défaut tout de même sur la forme : vous avez intérêt à vous accrocher, ce n’est pas facile à lire ! Son style est parfois soporifique, il s’en moque d’ailleurs ouvertement. Il est difficile de rentrer dans ce livre, surtout si vous y cherchez des vampires, car ce n’est pas le thème principal. En revanche nous avons ici affaire à de la vraie littérature !

Donc y a pas de vampires ?

Ce n’est pas ce que j’ai dit. Le vampire est un motif récurrent dans les Chants.

Maldoror est un être complexe, le définir comme vampire ce serait réducteur. C’est à la base un être humain. Seulement, un être humain qui ne refoule rien et accomplit avec plaisir meurtres et atteintes à la morale. Il ira jusqu’à combattre et vaincre Dieu, son pire ennemi après l’homme, sa race qu’il méprise. Un archange dit de Maldoror qu’il a sa place parmi les anges. De plus, Maldoror a le poétique pouvoir de métamorphose. Il se transforme en cygne à la fin, mais ce n’est pas la première fois qu’il change d’apparence. Alors, qui est cet être aux lèvres d’argent ? Hé bien Maldoror est peut-être plus qu’un être, un symbole de protestation, un instrument contre la morale et contre Dieu. Et ces motifs sont bien typiques du vampire, n’est-ce pas aussi son but ? Défier Dieu, semer le trouble chez les humains, mêler étroitement Eros et Thanatos ?

Si je ne vous ai pas convaincu…

Voici peut-être un passage qui montre Maldoror en plein viol d’enfant. Il s’y prend d’une manière qui vous sera familière !

On doit laisser pousser ses ongles pendant quinze jours. Oh! comme il est doux d’arracher brutalement de son lit un enfant qui n’a rien encore sur la lèvre supérieure, et, avec les yeux très-ouverts, de faire semblant de passer suavement la main sur son front, en inclinant en arrière ses beaux cheveux! Puis, tout à coup, au moment où il s’y attend le moins, d’enfoncer les ongles longs dans sa poitrine molle, de façon qu’il ne meure pas; car, s’il mourait, on n’aurait pas plus tard l’aspect de ses misères. Ensuite, on boit le sang en léchant les blessures; et, pendant ce temps, qui devrait durer autant que l’éternité dure, l’enfant pleure. Rien n’est si bon que son sang, extrait comme je viens de le dire, et tout chaud encore, si ce ne sont ses larmes, amères comme le sel. Homme, n’as-tu jamais goûté de ton sang, quand par hasard tu t’es coupé le doigt? Comme il est bon, n’est-ce pas; car, il n’a aucun goût. En outre, ne te souviens-tu pas d’avoir un jour, dans tes réflexions lugubres, porté la main, creusée au fond, sur ta figure maladive mouillée par ce qui tombait des yeux; laquelle main ensuite se dirigeait fatalement vers la bouche, qui puisait à longs traits, dans cette coupe, tremblante comme les dents de l’élève qui regarde obliquement celui qui est né pour l’oppresser, les larmes? Comme elles sont bonnes, n’est-ce pas; car, elles ont le goût du vinaigre. On dirait les larmes de celle qui aime le plus; mais, les larmes de l’enfant sont meilleures au palais. Lui, ne trahit pas, ne connaissant pas encore le mal: celle qui aime le plus trahit tôt ou tard… je le devine par analogie, quoique j’ignore ce que c’est que l’amitié, que l’amour (il est probable que je ne les accepterai jamais; du moins, de la part de la race humaine). Donc, puisque ton sang et tes larmes ne te dégoûtent pas, nourris-toi, nourris-toi avec confiance des larmes et du sang de l’adolescent. […] Adolescent, pardonne-moi. Une fois sortis de cette vie passagère, je veux que nous soyons entrelacés pendant l’éternité; ne former qu’un seul être, ma bouche collée à ta bouche. Même, de cette manière, ma punition ne sera pas complète. Alors, tu me déchireras, sans jamais t’arrêter, avec les dents et les ongles à la fois. Je parerai mon corps de guirlandes embaumées, pour cet holocauste expiatoire; et nous souffrirons tous les deux, moi, d’être déchiré, toi, de me déchirer… ma bouche collée à ta bouche.

Il y a donc du vampire en Maldoror. D’ailleurs, puisque Lautrémont est un poète, le vampire apparaît sous plusieurs métaphores assez intéressantes : le vampire est dépeint sous la forme d’un poulpe, d’une araignée…

Note : 7/10

Je vais mettre 7 parce qu’il est assez difficile de noter ce texte. Comment ne pas mettre plus à un texte aussi brillament écrit ? C’est une merveille. Cependant, le vampire n’y est qu’abordé, ce n’est qu’un motif de l’œuvre et non son thème, alors je dois me résoudre à cette note.

A noter, l’œuvre de Lautréamont est disponible en ligne sur Internet.

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